« Les ethnies sont une construction coloniale instrumentalisée par les colons et poursuivie par nos Etats post modernes »
M. Abdou Ndao, Directerur exécutif du CIRD
Le 23 mars, le CIRD a célébré ses deux ans de vie active. Une occasion mise au profit par la Direction exécutive pour organiser une conférence scientifique. La Conférence s’est déroulée en quatre étapes principales :
- M. DIALLO Amadou Lamarana, Chef du Département Recherche et Formation, a présidé la conférence. Ouvrant les débats, il a salué les personnalités présentes dont le M. Souleymane Taran DIALLO, Maire de Ratoma, qui venait pour la première fois au CIRD bien que son territoire géopolitique ait le privilège d’abriter cette institution.
- M. Diallo a par la suite donné la parole à M. Abdou NDAO, Directeur Exécutif qui a souhaité la bienvenue aux personnalités invitées dont le Maire de Ratoma, le Chef de Quartier de Kipé- Dadia, des Professeurs d’Universités, des Ecrivains et Etudiants en classes de Maitrise des Universités publiques et privées de Conakry, la capitale.
MM. Abdou NDAO, Directeur Exécutif et Dr. Ramadan DIALLO, Directeur Exécutif Adjoint, ont respectivement, développé les deux sous thèmes de la Conférence en deux temps entrecoupés de débats :
- Identités et expressions culturelles entre essentialisme anthropologique et nouvellement des approches méthodologiques : cas du Sénégal, de la Gambie et de la Guinée-Bissau
- Usages politiques de l’identité ethnique dans le contexte du pluralisme politique en Guinée.
Le premier thème a été présenté par Abdou NDAO, Directeur exécutif du CIRD, Socio anthropologue. Un point de départ innovatif en matière de méthodologie : comment allier socio-anthropologie, la photographie, la caméra et le stylisme ? De ce point d’ancrage deux enjeux majeurs posés : 1. Comment éviter les essentialismes anthropologiques ? Comment éviter la représentation caricaturale de nos complexités culturelles par les usages des cartes postales ? Abdou est revenu sur l’étendue de leur recherche de terrain qui a investigué 25 groupes ethniques à travers le Sénégal, la Gambie et la Guinée Bissau depuis 10 ans. Les ciblages ont essentiellement mis l’accent sur les groupes ethniques dits minoritaires qui reposent la question principale des minorités/majorités ethniques/sociologiques. Ex. Bassaris, Bedik, Badiarankes, Cognaguis représentent à peine 2% de la population sénégalaise.
Vue d’ensemble des participants
Plusieurs constats ont été formulés à l’aune de plusieurs postures analytiques par M. Ndao :
- Ethnicismes et identités à l’aune des catégories philosophiques ou ethnographiques ou ethnologiques ou anthropologiques : ce sont toutes des catégories dynamiques qu’il faut éviter d’essentialiser. Pour cela, l’anthropologue est revenu sur l’urgence d’interroger la transversalité historique en combinant les approches synchroniques et diachroniques qui donnent des contextes et des photographies très contrastés. M. Ndao estime pour sa part que la synchronie donne relativement moins de complexité aux processus identitaires et ethnicistes. En revanche, il estime que la diachronie nous replonge dans plus de complexité et relativise nos identités assumées ou projetées. Exemple : Ndao est à la fois socè, sérère, wolof, al pulaar… Ndao est à la fois animiste, chrétien, musulman
- Poursuivant son propos, le directeur exécutif est revenu sur le fait que les ethnies sont une construction coloniale instrumentalisée par les colons et poursuivie par nos Etas post modernes. Il donnera l’exemple des baynounk et les diolas en Basse Casamance au Sénégal. Il est longuement revenu sur les questions relatives aux exonymies, endonymies. De façon globale sur la contribution de l’onomastique dans la compréhension des questions identitaires et ethnicistes.
- Le directeur exécutif du CIRD est revenu sur les ethnicismes et identités à l’aune des transversalités géographiques en donnant l’exemple des Cognagui (Sénégal, Guinée Bissau, République de Guinée, la Gambie) ou les Bediks, les Bassaris, les Peuls ou les Soussous.
- Un autre aspect abordé concerne les ethnicismes et identités à l’aune des reconfigurations des expressions culturelles et rituelles. Elles sont en perpétuelles adaptation et réadaption, négociation et renégociation. Le bukut, cérémonie initiatique destinée aux circoncis ou le kahat, une cérémonie initiatique pour circoncire les initiés des diolas sont obligés de s’adapter aux modernités et à leurs contraintes.
- M. Ndao a poursuivi son développement en abordant les ethnicismes et identités à l’aune des complexités historiques, des contingences liées aux mobilités, aux guerres, aux contraintes physiques…
En concluant son propos, M. Ndao a lancé un message de tolérance et de diversité voire de métissage qui fonde nos humanités et nos humanismes. Un métissage qu’il importe de vulgariser dans nos établissements et la vie de tous les jours.
Dr. Ramadan Diallo, Directeur exécutif adjoint. Administrateur principal des départements du CIRD
Le second porte sur les « Usages politiques de l’identité ethnique en Guinée dans le contexte du pluralisme politique. » Il a été présenté par Ramadan DIALLO, Directeur exécutif adjoint, Docteur en Science Politique. Dans son intervention, Dr Ramadan DIALLO a mis l’accent sur la complexité de l’appartenance ethnique comme identité sociale et le caractère ambivalent de ses usages dans les compétitions électorales. Dans un premier temps, prenant le contrepied des considérations de sens commun faisant de l’identité ethnique une réalité ineffable et un prolongement de la parenté, l’auteur a insisté sur la nature foncièrement sociale et relationnelle de l’ethnicité. Ainsi, dans ses explications, il est ressorti que l’on ne naît pas déjà et définitivement membre d’un groupe ethnique par le fait de Dieu ou de la nature, mais que l’appartenance ethnique est un choix opéré par les individus et les groupes sociaux, parfois de façon inconsciente.
Dans le second volet de sa communication, Dr Ramadan DIALLO a insisté sur le fait que l’identité ethnique n’est pas systématiquement une « pathologie » en politique. Sur ce point, il a montré que les partis politiques guinéens, l’administration publique font fréquemment recours à l’ethnicité dans leurs stratégies d’action. Et dans bien des cas, parfois avec le concours des Coordinations régionales (associations ethnico-régionalistes), cette convocation de l’identité ethnique en politique se fait au prisme de la division, de la haine de l’autre et de l’affichage à outrance des pseudos différences entre communautés. Alors qu’en réalité l’ethnicité peut également être utilisée pour renforcer l’unité de la nation, résoudre des crises socio-politiques, cultiver la connaissance de l’autre, la tolérance, en un mot favoriser le vivre-ensemble. L’exemple des démocraties consociatives et pluriculturelles (Suisse, Belgique, Ethiopie, Nigéria, Canada, Royaume-Uni, Afrique du Sud, Inde, …) ont permis à l’auteur d’illustrer sa position.
Dans sa conclusion, l’intervenant a recommandé la tenue d’assises nationales sur la place à accorder à l’identité ethnique dans l’espace public et politique en Guinée ainsi que la réalisation d’un vaste programme de recherche sur les identités ethniques en Guinée dans une perspective pluridisciplinaire.
Prenant la parole à la fin des débats, M. DIALLO A. Lamarana, Président de la Conférence, a souligné l’importance du conditionnement culturel dans la construction des identités. A cet égard il a fait remarquer que l’identité, aux niveaux individuel, communautaire et national, est comparable à un sac culturel qui enregistre les héros, monuments et autres créations comme des biens consensuels communs. Aussi est-il plus facile de le vider que de le remplir : il suffit qu’un groupe quelconque s’approprie d’un bien commun pour rompre le consensus qui l’entoure et lui ôter l’unanimité unissant autour de lui les hommes et femmes d’un pays. Un héros peut ainsi redevenir la propriété d’une ethnie dès que sa communauté se targue d’en être l’unique émanation ; il quitte ainsi le cœur des autres compatriotes ouvrant ainsi des failles favorables au repli identitaire. Attention donc aux vedettariats sectaires qui font la part belle aux egos ethnocentriques et politiques. Ce sont des sources de division qui minent les modalités de gestion d’une République et compromettent le processus de construction nationale.